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La fresque sociale est la chose la mieux partagée sur le Festival international de théâtre et de marionnettes de Ouagadoudou (Fitmo) 2017, avec les représentations programmées. A l’instar d’autres, le spectacle de clôture de l’étape Ouaga, « Demain, c’est dimanche » une co-mise en scène du Dr Hamadou Mandé et de Kira Claude Guingané, joué le 08 novembre à l’espace Gambidi, dépeint la mesquinerie de ceux qui prônent Dieu et l’inégalité sociale.

Un prête (joué par Marlène Douty) apparait dans un décor propre à l’intérieur d’une église catholique. Il prie Dieu. Mais il est interrompu par un homme désespéré (incarné par Stéphane Balouri) disant avoir péché. L’homme parait aussi éreinté que troublé et dit avoir tué. Il raconte son histoire à l’homme d’église qui était déjà au courant pour être un proche de la victime et avoir lu dans les journaux la description du prétendu assassin recherché par la police.

Un jeune homme quittant une boite de nuit pour la maison le sollicite pour la réparation de la chambre à air d’un de ses pneus de moto. Il a déjà fermé lui a-t-il répondu mais le jeune homme le supplie de l’aider. Touché par les supplications, il pense à son père malade ayant besoin de soin et se dit avoir aussi besoin d’argent. Il répare alors la moto du client. Mais à son grand désarroi, ce dernier refuse de payer le service, sous prétexte de manque de petites pièces et s’oppose mordicus à remettre son billet pour que le vulcanisateur en fasse la monnaie. De quiproquos en combat, d’agression en défense, le jeune homme perd la vie. C’est la (vraie) version de l’histoire du ‘’meurtre’’, du moins celle que raconte l’ouvrier.

Mais ceci ne sera que sa version à lui car, pour l’opinion, sa victime qui est d’une famille noble fréquentant l’église et lui faisant des dons serait incapable de refuser de payer 500 francs Cfa à un réparateur ; mieux, ne se bagarrerait jamais dans la rue avec quelqu’un. Sa condition de miséreux lui confère le profil de criminel.

L’injustice et l’inégalité sociale

Le dramaturge Hyacinthe Kabré (auteur de la pièce) cache mal son aversion pour l’injustice, qu’elle soit sociale ou juridique. Décrit comme un individu armé et très dangereux puis recherché par la police, tout semble réuni pour inculper cet ouvrier sensible à la peine des autres et qui n’était qu’à la quête de sa pitance. ‘’Misère de Souffrance’’ dit-t-il lui-même se prénommer. Ce spectacle, tout comme « Suzy et Franck » de Didier Poiteaux joué sur cette même scène du Fitmo 2017, attire l’attention sur les conclusions hâtives en justice sous influence du profil du mis en cause. ‘’Misère de Souffrance’’ n’est pas un criminel. On pourrait démontrer qu’il est innocent, Franck (in Suzy et Franck) l’est aussi, pas plus que Dreyfus (in J’accuse) dont Emile Zola jure de la non culpabilité des faits lui étant imputés aux lendemains de la guerre de 1870.

Crédit Photo : Tognidaho Emmanuel

Si le spectateur peut être touché par le sort réservé à l’ouvrier, il est surtout déçu voire scandalisé par la posture de l’homme de Dieu. Comme tout propos consolateur, le prêtre se contentait de servir à ‘’Misère de souffrance’’ que « c’est la volonté de Dieu », sans pour autant croire à sa version du drame. Le vulcanisateur refuse quand même de se complaire à cette résignation bienséante au motif de la foi. « Y en a marre » que la volonté de Dieu soit toujours en défaveur du pauvre qu’il est. Le spectacle « Demain, c’est dimanche » paraît tel un cri d’appel à la justice et résonne comme le glas de la mesquinerie dans le milieu religieux. ‘’Misère de souffrance’’ pensait trouver refuge à l’église mais il tapé à la mauvaise porte. Le prêtre est aussi chasseur de prime.

Plein feu sur la mesquinerie des hommes autour de Dieu

La scénographie de ce spectacle renseigne juste. Le décor suggère l’intérieur d’une église. La régie son, de manière régulière confirme cette information avec de la musique chrétienne. Et le plein feu proposé par la régie lumière précisera l’intention des metteurs en scène Hamadou Mandé et Kira Claude Guingané. Mettre au goût du jour la mesquinerie et l’hypocrisie qui habitent ceux-là même qui ont au bout des lèvres le nom de Dieu sans forcément agir dans le sens de la bonne conduite. Le mélange au début de la voix du muezzin évoquant l’islam, avec la musique chrétienne signifie que le dévolu n’est pas jeté sur une congrégation religieuse en particulier.

Chaque spectateur selon sa pratique religieuse est appelé à se regarder dans le miroir de ce spectacle. Le fils de Monsieur Moyen qui passe son temps dans les boîtes de nuit mais considérer comme enfant exemplaire. Le prêtre qui se montre dévoué à la cause de la famille de Monsieur Moyen parce qu’il est grand donateur de l’église. Cet ouvrier qui se rend dans cette église à la recherche de refuge mais qui n’en sortira que les pieds devant et sans le souffle de vie parce qu’il y une prime en jeu contre la tête de l’ouvrier. Et une question titille l’esprit : le philosophe allemand Friedrich Nietzsche aurait-il raison dans son assertion ? « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! ».

‘’Misère de souffrance’’ est sans vie sur l’autel de l’église. Mais demain, c’est dimanche. Le prêtre doit se débarrasser de ce colis, les fidèles ne doivent pas savoir ce qui s’est passé la veille.

Par Eric AZANNEY (depuis Ouagadougou)

Journaliste critique, Ingénieur culturel. Fondateur du Groupe AWALE AFRIKI

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