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Salle comble à l’ex ciné vog actuel Fitheb le mardi 24 novembre 2015 pour la première représentation de la troupe nationale de théâtre du Bénin. Treize acteurs (des « deconnards ») ont transformé la scène en un champ de bataille comme tout bon « Village fou ». De l’insouciance d’un village à l’attachement forcené d’un ancien combattant pour la France, passant par la lâcheté d’un chasseur, l’homme africain peut se voir dans la glace et revoir sa posture émotionnelle. « Village fou ou Les déconnards » du dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé est mis en scène par Kocou Yémandjè. 75 minutes de « déconnement ».

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Le quotidien d’un individu peut intéresser toute sa communauté et, de par ses infortunes, ses agissements ou ses dérives surtout morales, il sera la risée de tout le village. Pour un rien de motif, on peut en arriver aux mains, et, plus loin, aux dégâts passionnels… Nous sommes au « Village fou » tel que organisé par Kocou Yémandjè. Dynamo (joué par Bardol Migan) dont les excès devenaient exagérés vis-à-vis de la morale va comparaitre devant la justice. Mais les hommes en toge n’auront pas le monopole du procès. Le mis en cause et ses compères villageois installent le quiproquo dans le tribunal. Le procès finit en queue de poisson, le juge y renonce.

Un chasseur (incarné par Judicaël Avaligbé) bien rassasié de ses exploits et son orgueil qui s’était juré la vengeance de ses parents assassinés devra abandonner son projet car le meurtrier parait bien fort pour qu’il ose l’affronter. Il se ravise et dit plutôt qu’il n’a pas à faire au vrai assassin. Le village se moque de lui mais il s’en fout.

Autour d’un match de football, enthousiasme, stress, déception joie et bagarres, pour un simple faux pas ou exploit d’un joueur de l’équipe supportée.

Un ancien combattant (encore joué par Judicaël Avaligbé)  très épris de la France tout comme du Général De Gaule dont il pleurera le drapeau que vient de déchirer son épouse Gestapo (avec Eliane Chagas) après une dispute de foyer dont la France en est encore la cause. Mais la femme en aura pour son compte. « Le génie du déconnement l’a massacrée ». La vengeance de la femme sera sans appel. Elle brise le canari qui hébergeait « le fétiche sacré » du village. Non pas sans inconvénients. Son époux y passe. Elle aussi.

Quatre différents tableaux servis en un, dans une scénographie autant éparse que débonnaire, présentant l’homme africain à qui la maîtrise de son émotion échappe toujours. L’africain qui ne met pas son temps à profit pour des choses concrètes et participatives de son développement ou celui de son pays. Il s’accommode de l’absurde et s’y vautre comme c’est le cas des 13 acteurs sur scène confortés par la mise en scène.

                                       

 A l’image d’un peuple

Le public fond en rire de temps en temps pendant le spectacle mais, à la fin, il a du mal à reconstituer le fil de l’intrigue. Si on peut être charmé par le procédé de conte simultané à l’action (l’histoire se raconte au fur et à mesure que l’action se déroule), on déchante par rapport à la succession des tableaux sans transition ou relation entre ceux-ci. Le spectateur est largué à chaque fois quoique le jeu d’acteur et les performances individuelles sur scène accrochent. C’est sans doute une option du metteur en scène pour illustrer la discontinuité dans les rares actions de développement et de prise de conscience qu’entreprennent les Etats africains voire les peuples. Sans doute pour mettre au goût du jour la mal organisation et l’incohérence qui habitent parfois ou généralement les initiatives et les raisonnements dans son milieu. Et peut-être le spectateur est-il convié à opérer la rupture comme c’est le cas de ce théâtre qui ne reconnaît pas la règle des trois unités du théâtre classique. L’unité d’action, l’unité de temps, l’unité de lieu. Le metteur en scène fait remarquer qu’il y a plus essentiel auquel il faut parer.

 Diagnostic… Effets esthétiques

On peut soupçonner Kocou Yémandjè de chercher à passer des messages, à exprimer des convictions. Il faut lire, en toile de fond comme aspect commun aux quatre tableaux qu’offre ce spectacle, l’émotion à fleur de peau dont fait montre l’homme mais surtout l’Africain. Le vacarme des villageois au tribunal ; l’obsession du chasseur à se venger ; l’ambiance passionnée dans laquelle le village suit un match ; botter sa femme. Et palabres, et sexe… A tous les niveaux, l’émotion déborde mais n’arrange rien.  Beaucoup d’exagération dans ce village de fous. Laquelle exagération s’observe aussi sur des choix de la mise en scène comme la distribution. 13 comédiens distribués. Beaucoup de figurants. Le choix du metteur en scène qui n’a pas fait la même option que le  Malien Lamine Diarra qui a mis en scène en 2011 le même texte de Koffi Kwahulé avec un seul acteur le Burkinabé Aristide Tarnagda en monologue. Les conditions de création et les objectifs sont différents. Ce spectacle, Kocou Yémandjè assisté de Nicolas de Dravo et Raphael Hounto, l’a créé pour le théâtre national du Bénin qui compte quatorze comédiens. Si on peut être déçu que certains talents aient été sous exploités, on peut évaluer d’autres sur leur performance de conteur, puis apprécier des reprises en chœurs régulières. Et surtout une scénographie originale. Le costume qui est changé alternativement sur scène, sans aller en coulisse car les rechanges sont déjà fixés aux accroches de chacune des caisses qui servent de sièges en fond de scène devant un rideau noir. Un décor digeste et créatif. Du noir maculé par une lumière rouge contenue dans treize foyers et un blanc fade suggéré par le kimono blanc des acteurs. Les projecteurs s’éteignent sur ce dispositif, tout comme ils s’y étaient lancés.

                                                                                 Par Eric AZANNEY

Journaliste critique, Ingénieur culturel. Fondateur du Groupe AWALE AFRIKI

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