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Le public qui connait sa mise en scène le réclamait. Et Ousmane Alédji revient en ressuscitant Aimé Césaire à travers ses textes qu’il réunit avec esprit puis en fait la mise en scène. Le spectacle c’est La tragédie du roi Césaire représenté au centre Artisttik Africa le 16 novembre, première journée de la 14e édition du festival international de théâtre du Bénin (Fitheb).  Un appel fort à la prise de conscience en tant qu’africain. Une scénographie exorciste.

Dès l’entrée en salle, le public aperçoit sur la scène un homme debout, visiblement un rescapé. Il tient une béquille et ne bouge pas. De blanc vêtu dans un décor tout blanc inspirant l’élévation mais d’abord la fin. C’est un décor céleste, avec la présence d’un lit mortuaire. Il est rejoint par un autre habillé en noir. C’est son subalterne (joué par Raphael Hounto). Le roi Césaire (incarné par Nicolas de Dravo) vit ses dernières heures, très répugné par l’attitude de « stériles spectateurs » de ses sujets et frères les africains face à leur situation de résignés. Il est indigné de tant de nonchalance freinant sur le chemin de l’autodétermination. Le roi Césaire est outré par la désinvolture de ce peuple qui n’est pas « debout » ou pas suffisamment. Et même titubant, négociant ses derniers souffles, il a la force dans la voix pour engager les siens à l’action. Avant de partir, il procède à un rituel, sans doute pour purifier les esprits de tant d’égarements et les confier aux ancêtres.

Un homme qui physiquement ne compte plus que sur un de ses jambes mais qui prend des risques ; qui entreprend de grimper ; de « rester debout » sans sa béquille, de marcher sur son lit (de mort). La voix (le ton) qui prend de l’ascendance et redescend quand il le faut. C’est une direction d’acteur impressionnante dont Nicolas de Dravo offre le rendu. Ceci répond à l’ensemble d’une scénographie aux aspects exorcistes comme suggestifs. Et si la présence imposante du blanc suggérait que le roi Césaire réagit directement depuis l’au-delà ou il est toujours préoccupé par le niveau de conscience des siens ? Et si ce blanc suggérait plutôt que l’Afrique est encore vierge avec beaucoup de manques à gagner ? Ou encore suggérait-t-il le niveau de conscience plus élevé du roi Césaire parmi les siens eux qui s’accommodent d’attentisme et de désespoir, en témoigne le costume noir du subalterne sur scène ?

Dans tous les cas, le roi Césaire ici pourrait être une métaphore de cette Afrique rescapée de colonialisme, de guerre, de coups d’Etat et qui doit se hâter de se (re)lever. Cette Afrique qui doit arrêter définitivement de se plaindre ou de s’apitoyer sur son sort. Elle doit avoir l’audace de quitter son petit confort. Et le public devra supporter la fumée produit par l’encens pendant le spectacle car il y a un minimum de sacrifice à consentir pour y arriver.  L’Afrique doit entreprendre. L’Afrique doit prendre des risques, sans la peur de tomber, d’échouer. Elle doit lutter jusqu’au bout, pour sortir du sous-développement.

La tragédie du roi Césaire est un ensemble de textes de l’œuvre d’Aimé Césaire réunis et mis en scène avec créativité et maestria par le dramaturge metteur en scène Ousmane Alédji. Un engagé qui rend hommage à un autre. Que ce soit en écriture ou en mise scène, on connaît le ton des œuvres de l’auteur de Cadavre mon bel amant qui ici fait un retour sur la scène plus de 15 ans après ses créations applaudies dans le monde entier par des publics d’événements de théâtre les plus prestigieux. On se rappelle Imonlè et Omon-mi.

Et pour un retour, celui-ci porte les caractéristiques du majestueux. La tragédie du roi Césaire tient en haleine et en alerte le public, de l’entrée en salle jusqu’à la fin du spectacle. Un public qui peut-être peut être essoufflé d’aller à un rythme aussi sportif. Mais c’est entendu ! On ne va pas au développement en lambinant. Théâtre rituel, théâtre organique, monodrame (n’empêche la présence du second acteur), ce spectacle puise dans plusieurs formes pour produire la catharsis. Le développement de l’Afrique dépendrait sans doute du rassemblement de toutes les forces.

Par Eric AZANNEY

Photo : Tognidaho

Journaliste critique, Ingénieur culturel. Fondateur du Groupe AWALE AFRIKI

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