
La poésie est beauté et la beauté déploie davantage son pouvoir quand elle est identifiée et entretenue. Didactique de la beauté, Anthologie des poètes de feu dirigée et présentée par le poète béninois Daté Barnabé-Akayi offre un coffret de souffles, d’unité et de liberté autour de la beauté et de l’espoir. Publiée aux éditions Plumes soleil en juillet 2020, cette anthologie de 227 pages élaborée en trois parties regroupe dix jeunes poètes sortis d’une Master Class et quatre anciennes plumes. On renifle l’espoir dans un champs de symboles.
Les regroupements de poètes, il y en a souvent eu sous d’autres cieux et ères, à l’instar du Parnasse au 19e siècle en France. Au Bénin, dans les années 80-90, il y a eu « Prométhée », un mouvement de libre pensée qui réunissait plusieurs artistes dont des poètes, sous la coordination de l’écrivain Camille Amouro. Toujours au Bénin, dans les années 90 et 2000, le Professeur et poète Mahugnon Kakpo dirigeait « le cercle Osiris » qui regroupait des poètes avec une nouvelle vision dénotant de la poésie moderne. Ces deux regroupements ont débouché sur des recueils et revues.
« Les poètes de feu », eux, ont deux particularités : ils ont décidé d’aller à une école ; ils sont tous enseignants de Français dans les lycées et collèges. Cette anthologie apparaît telle la restitution d’une Master Class de plusieurs semaines (en ligne et en présentiel) donnée par un autre poète à la pratique régulière et reconnue de l’art poétique : Daté Atavito Barnabé-Akayi. Ces « poètes de feu » sont Eric Amour Amayidi, Anselme Amayidi, Christophe Amoussou, Espérat Bocovo, Laurent Faton, Grégoire Folly, Issa Gbénou, Guy Houndayi, Zamba Oussa, Amour Toliton.
Du feu et de la beauté : esthétique de l’espoir
L’art n’est assurément pas du hasard, il prend généralement forme suivant un projet esthétique de l’artiste ou sera modelé en fonction. Le feu, symbole de lumière, d’énergie, de vigueur, d’enthousiasme, de virilité, de vie, de purification, de régénération, etc., a pour véritable exigence vis-à-vis de celui qui le manipule ou le côtoie d’être éveillé. Mais être habité par le feu, c’est une onction qui donne au récipiendaire élévation et beauté, en plus des caractéristiques précédemment énumérées. Choisir donc d’être des poètes de feu se révèle être un projet esthétique de pureté, de puissance et d’espoir.
Ils ont l’air de bien cerner la mission. Le premier poète de l’anthologie (selon l’ordre alphabétique des patronymes), Eric Amour Amayidi annonce les couleurs avec fougue. Dans son intervention intitulée « La langue dans le brasier » qui s’étend sur quatorze pages, le champ lexico-sémantique du feu est fort remarquable. On note la présence des mots : phallus, viril, verge, feu follet, volcan, rouge, irisés, virginité, soleil, éclaire, sang, dragon, flammes, encensoir, lumière, fièvre, feu, incandescente, argenté, cendre, balles, arc-en-ciel, foudre, rageuse, étoile, etc. Voilà qui embarque le lecteur pour un plaidoyer musclé de la vie, de l’espoir.
Qu’ils traitent d’amour, de politique, de l’actualité internationale, de Covid-19, de vodoun, de spiritualité, du système éducatif béninois, etc., ces poètes de feu ont un regard d’espoir sur l’avenir, en exorcisant le présent. « Le présent fièrement marche sur le toit du passé et l’avenir porte la cravate blanche » (Eric Amour Amayidi) p.40. « Au cœur d’une Afrique meurtrie, violentée et éventrée, une lueur d’espoir a point dans les ténébreux gouffres » (Anselme Amayidi) p.58. « J’écoute les lancinements des larmes sur les visages déconfits quémandant un lieu sûr dans les yeux de l’espoir » (Christophe Amoussou) p.76. « Tant de noirceurs en moi se bousculent quoique ces jours m’apparaissent aujourd’hui plus ensoleillés » (Espérat Bocovo) p.81. « Mais à l’horizon de cet enfer embelli s’éclosent des graines endormies sur des sillons d’espoir que berce l’aurore » (Laurent Faton) p.97. « Enfant, pluies de joie mêlée de déception. Descendant de bananiers pauvres et riche, des escargots d’espoir, des chiens de désespoir » (Issa Gbénou) p.123. « Le soleil qui point vend l’espoir et ses roses » (Guy Houndayi p.140. « Du bel âge dans ce fou plumage petit espoir dans un sang avare de lait » (Amour Toliton) p.167.
Leur expression de la douleur est drue avec un brin d’espoir. Et le soleil connote bien l’espoir. Dans les textes de chacun des dix poètes de feu, le mot « soleil » est employé au moins une fois. C’est seulement chez Laurent Faton que « soleil » n’est pas directement employé mais on a en contrepartie le participe passé « ensoleillées » p.103.
Cette esthétique névralgique fait penser à un autre poète béninois -Constantin Amoussou- dont la verve est de cette trempe-là (Constantin Amoussou, Hydraulique de mes paupières, Fous sans frontières, Cotonou, 2009.).
De l’influence d’un chef de file à la portée d’une Master Class/ Sur le chemin d’une écriture poétique
La poésie béninoise a environ 66 ans, si on considère l’année de la première publication d’œuvre poétique d’un Béninois (Paulin Joachim, Un nègre raconte, Ed. Caractères, Paris, 1954). Et, cette poésie, comme la littérature au plan général évolue au point de vue ‘’thématiques’’, donc du fond, selon les préoccupations du temps et aussi, selon les préoccupations personnelles ou intimistes de l’auteur.
Quant à la forme, on peut estimer qu’elle s’élabore en fonction des influences de lecture et ou du projet esthétique. Daté Barnabé-Akayi, après Mahugnon Kakpo et peut-être d’autres, a abordé dans la poésie béninoise l’esthétique de l’oralité, avec ses corollaires de paroles sacrées et initiatiques. Ceci s’ajoute à l’originalité de la forme qui évolue en lettres minuscules et sans ponctuation. Au niveau de certains des « poètes de feu » on retrouve une patente similarité. Deux exemples : « refuser la taille à l’eau aucun tégument d’écailles n’empêche Sègbo Lissa de chasser les mouches autour de l’huître » (Grégoire Folly) p.113 ; « j’ai cueilli sept feuilles et à la table du Christ suis invité » (Zamba Oussa) p. 159. Et voici un extrait, tiré de la même anthologie, de celui qu’il convient d’appeler ici chef de file : « le ciel est vert comme ton sourire de nourrisson grandissant près du lait frais du soleil et le glaçon long de ses sept étoiles fond à peine » (Daté Atavito Barnabé-Akayi) p.242. Le nombre sept (7) et tout ce qu’il peut connoter de sacré, spirituel ou initiatique lie ces trois extraits.
Si parmi les dix « poètes de feu » certains après la Master Class semblent avoir trouvé l’équilibre du souffle et de l’esthétique, d’autres vont travailler davantage à polir le feu en eux ou travailler l’art de sa manipulation. Car pendant la lecture il arrive que bien embarqué on soit quelques fois largué avant atterrissage du vol. Surtout sur les sujets politiques, la fougue est si intense chez certains de ces poètes qu’ils perdent le langage poétique en cours de chemin et passent directement le message.
L’idée de se faire coacher par un poète devancier apparaît telle une première dans l’univers littéraire béninois, lorsqu’on considère surtout la matérialisation de celle-ci par une Master Class et une restitution (un livre). Il est à mettre à l’actif de ces « poètes de feu » l’humilité qui est la marque des grands esprits et de leur leader la générosité qui caractérise les grands artistes.
En image, Daté Atavito Barnabé-Akayi
Dans la dernière partie du livre qui est consacrée aux notes biographiques et aux témoignages sur la Master Class, Eric Amour Amayidi, qui a activement œuvré pour la tenue de cette Master Class confie : « Contacté, Barnabé, du haut de son humilité accepta sans ménagement de coacher le groupe. Je ne voudrais pas rappeler ici, la rigueur qu’il mit dans son coaching ni les exigences auxquelles il obligeait chaque membre pour un travail de qualité. Ecriture et exigences forment, chez Barnabé, les deux faces d’une même pièce. Chaque mot devrait être soigneusement choisi, chaque expression, chaque vers devrait être scrupuleusement pensé avec toute la charge sémantique et spéculative qui l’accompagnent. Inutile également de dire qu’avec lui, la poésie fut découverte autrement. L’art d’écrire la poésie ne doit être confondu avec un simple alignement de mots creux et obscurs pour peu qu’on est éloquent. La poésie, la véritable poésie est le fruit d’une création qui marie à la musicalité la cueillaison des images (pour le citer) assez suggestives. Ce que je dois affirmer ici, et c’est l’impression générale du groupe, c’est qu’on se croyait déjà poètes avant de le rencontrer. Et, après l’avoir rencontré, nous avons dû réapprendre à écrire et à ainsi devenir poètes. » p.248.
Le recueil Didactique de la beauté comprend aussi des textes de quatre autres poètes dont Daté lui-même et trois autres qui eux sont aussi enseignants mais tous de grade supérieur dans l’enseignement du Français au Bénin. Ils occupent la deuxième partie intitulée : « Les invités de l’anthologie ». Il s’agit de Jean-Benoît Alokpon, Eugène Gbédédji et Bruno Ahossi. Ceux-ci portent autant le feu et en montrent la maîtrise. On espère lire Bruno Ahossi dont la verve est saisissante en publication complète. Idem pour Benoît Alokpon. Ils sont donc au total quatorze à participer à cette anthologie. Le choix du nombre 14 n’est sans doute pas anodin.
Définitivement lumière : 14, un autre symbole de feu
Le nombre 14 qui regroupe le 1 et le 4 donne 5 en numérologie. Et le nombre 5 est riche de sens et de symboles. Selon les Saintes Écritures, il est le symbole de l’Homme-Dieu à travers les cinq plaies du Christ sur la croix. A ce titre, cinq est considéré comme un nombre de grâce. Mais il est aussi associé à l’homme spirituellement comme physiquement. Au niveau du corps humain, Le nombre cinq correspond au nombre normal de doigts d’une main ou d’un pied. Les cinq sens : le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue. Les cinq membres : les deux bras, les deux jambes, le buste. La représentation habituelle du nombre cinq est l’étoile à cinq branches ou pentagramme. Voilà qui a fini de prouver qu’il s’agit de lumière, de feu. Alors, avec « les poètes de feu » on ne peut attendre qu’une chose : que la lumière soit !
Daté Atavito Barnabé-Akayi, Didactique de la beauté, Plumes soleil, Cotonou, 2020, 277p.
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