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Décor en couleur ocre, la scène de la salle Kodjo Ebouclé du palais de la culture emmène dans une cour royale. Celle du roi Béhanzin. C’est le spectacle Kondo le requin représenté hier 10 mars par la compagnie Kaïdara du Bénin, avec la direction du comédien et metteur en scène Tola Koukui. Le public du Marché des arts du spectacle africain (Masa) revisite, enchanté, le chapitre de la résistance dans l’histoire de la colonisation en Afrique francophone.

Nous sommes entre 1889 et 1894. Le roi Glèlè « est allé à Allada » (est passé de vie à trépas) et le prince Kondo devra faire face à son majestueux sort décidé par l’oracle. Le roi Béhanzin accède au trône et, tient en respect tout sujet, de part son autorité et sa témérité. Les oracles avaient déjà révélé que c’est avec lui que prendront fin les heurts et guerres contre le royaume (Danxomè), soit par sa défaite, soit par sa victoire. Aussitôt intronisé, « les blancs » seront l’os dans la gorge de ce souverain envié de bien des membres de sa lignée. Faut-il aller en guerre avec en face un ennemi plus outillé que soi, même si ses guerriers sont armés de bravoure et ses amazones féroces jusqu’aux dents? Après consultation du Fâ, l’interprétation du prêtre et devin Guèdègbé révèle que non. Les ancêtres ne conseillent pas cet affrontement. Mais le roi tient à défendre sa terre et démontrer son courage. Il peut compter sur le franc engagement de ses soldats et la perfidie de certains de ses proches. La guerre a lieu et Béhanzin finit par se rendre pour sauver sa patrie.

43 acteurs évoluant sur scène avec une belle occupation de l’espace. Le corps jouit ici parfaitement de son droit à l’expression, à travers chants et danses répondant à la structure du spectacle et traduisant un état d’âme (colère, joie, détermination). Des mimiques imposant des plages humoristiques. Le lâcher-prise suggéré par le théâtre organique est dans ce spectacle la chose la mieux partagée.  Et le public composé de plusieurs nationalités ne croit pas devoir attendre la fin du spectacle pour applaudir. Chaque tableau finit sur des acclamations avec une attention spontanée juste après. Si ce spectacle, à travers l’exécution de chants et danses royaux accompagnés de percussion, des panégyriques, revendique la valeur d’un patrimoine immatériel à conserver, il faut également remarquer qu’il dénonce des contre valeurs morales.

Kondo le requin offre un rétroviseur mais surtout un miroir pour que l’Africain reconsidère ses rapports à la loyauté envers les siens. L’issue du combat aurait peut-être pu être autre si la sournoiserie n’avait pas corrompu certaines âmes et, le dénie, d’autres. Le prêtre noir acquis à la cause du colon et le représentant; louanger le roi, applaudir ses décisions devant la cour et le calomnier en aparté, par exemple, sont autant de comportements qui ne favorisent aucune victoire. La témérité et l’inflexibilité d’un souverain rendues par le talent d’un comédien (Nicolas Houenou de Dravo) et avec la synergie performante des autres acteurs tous de réputés comédiens, Kondo le requin qui n’a qu’une seule date sur ce Masa est redemandé du public.

Cette pièce historique, un classique de la littérature négro-africaine est une écriture de l’écrivain béninois Jean Pliya parue en 1966.

Par Eric AZANNEY (dépuis Abidjan)

Journaliste critique, Ingénieur culturel. Fondateur du Groupe AWALE AFRIKI

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