Après Bordeaux en 2021, la Côte d’Ivoire en 2022 et le Cameroun en 2023, Madagascar devient la terre d’accueil de ce projet artistique initié par Nadine Hounkpatin et Céline Seror, deux commissaires qui explorent le thème de la réappropriation de la narration, de la réécriture de l’histoire et de la constitution d’une mémoire universelle.

Du 4 avril 2024 au 28 février 2025, vingt-deux femmes, des artistes de Madagascar, d’Afrique et de la diaspora africaine exposent à la Fondation H sis à Antananarivo. La toute première édition avait eu lieu au FRAC Nouvelle-Aquitaine MECA Bordeaux dans le cadre de la Saison Africa 2020.  Memoria est un projet qui s’est développé de lui-même et qui est aujourd’hui transporté d’un pays africain à un autre.

L’intitulé de l’exposition itinérante : « Memoria : récits d’une autre histoire » ouvre la voie vers un univers construit à partir de mémoires recomposées à travers des vidéos et des pièces artistiques : installation textile, peintures et sculptures. Un ensemble de fragments de mémoires, qu’elles soient collectives ou personnelles, elles tendent toutes vers l’universel et invitent à la découverte et à la prise de conscience. Memoria apparaît comme une exposition un peu particulière d’art contemporain et d’histoire, mettant en avant les œuvres de Joey Aresoa, Olivia Bourgois, Joana Choumali, Dalila Dalléas Bouzar, Justine Gaga, Enam Gbewonyo, Georgina Maxim, Tuli Mekondjo, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Myriam Mihindou, Josèfa Ntjam, Gosette Lubondo, Barbara Portailler, Selly Raby Kane, Miora Rajaonary, Amalia Ramanankirahina, Richianny Ratovo, Carine Ratovonarivo, Voanjiniaina Annie Ratovonirina, Na Chainkua Reindorf, Mary Sibande, Charlotte Yonga.

Le choix des commissaires d’exposer exclusivement des femmes artistes est une manière de mettre l’accent sur la présence des femmes dans le milieu artistique. Pour le cas de Madagascar, les femmes artistes plasticiennes sont de plus en plus nombreuses à briller que ce soit au sein même de l’île ou encore à l’international. Parmi les artistes sélectionnées se trouve Richianny Ratovo, médaille d’or aux Jeux de la Francophonie de 2023. Memoria est un événement exceptionnel pour l’art contemporain à Madagascar. C’est une mise en avant de la pratique artistique dans la Grande île ainsi qu’une fenêtre sur le monde.

Reine Tana © Justine Gaga Crédit photo Niry R.
« Olomanga » ©Vonjiniaina, Crédit photo Fondation H

Premier chapitre : « De l’intime à l’universel : recréer une histoire commune »

Pour certaines artistes, il s’agissait alors de partager des anecdotes personnelles afin de mieux aborder de manière abstraite l’idée de transmission : le respect des Aînées et l’héritage sont des thématiques qui ont été reprises par trois artistes malgaches : Olivia Bourgois, Richianny Ratovo et Vonjiniaina Ratovonirina ; notamment à travers la transmission orale, la transmission de valeurs humaines ou encore de biens matériels. Richianny Ratovo a réalisé « Soldat de l’amour », une toile de 4 mètres sur 3 représentant le souvenir de son grand-père et de son enseignement autour de l’amour et de la compassion.

« Tsiambaratelo » ©Olivia Bourgois, Crédit photo Fondation H

Pour Vonjiniaina Ratovonirina, des Olomanga (littéralement hommes bleus), des sculptures en bois drapés de tissus peints en bleu pour représenter à la fois les Grands hommes de l’histoire et l’importance de la collectivité dans le fondement d’une nation. Quant à Olivia Bourgois, sa maison faite en tresses de raphia est une revisite de l’habitation qui devient pour elle un symbole de transmission d’une mère à sa fille. La notion de transmission d’un héritage d’une femme à l’autre n’étant pas un geste naturel dans la société malgache. Ainsi son œuvre tend vers la contestation de certaines normes sociales.

Deuxième chapitre : Quand la mémoire fait œuvre politique

De leurs résidences de création à Antananarivo, Amalia Ramanankirahina (artiste malgache installée à Paris) et Justine Gaga (artiste camerounaise) proposent des œuvres fortement attachées à cette île. La sculpture intitulée « Reine Tana » de Justine Gaga a été construite avec le concours de Fitiavana, artiste plasticien de l’atelier de ferronnerie de Donné Vy. Par cette œuvre, cette artiste marque son passage tout en faisant un hommage à la Grande île, telle une carte postale partie du Continent et qui se destine à Madagascar, une sculpture à la forme humaine sur laquelle sont inscrites des inscriptions qui rappellent ces sociétés qui composent avec des parcelles d’histoires, les mêmes avec lesquelles elles sont censés se construire.

Expo Mémoria
« Reine Tana » ©Justine Gaga, Crédit photo Fondation H

De son côté, Amalia Ramanankirahina propose un « Echafaudage d’histoires », une installation à la verticale. Des bois ronds qui servent d’ordinaire de repère dans les constructions de maisons à Madagascar. Des échafaudages sur lesquels sont disposés des images avec des inscriptions, des esquisses de l’artiste qui désignent chacune de multiples concepts et pans de l’histoire. Un dessin de l’Artemesia annua renvoie d’ailleurs à la pandémie mais également à Madagascar, aux mille vertus de la plante ainsi qu’à sa provenance et à ses usages insoupçonnés. Un dessin de la vanille, un symbole de Madagascar mais grâce à l’artiste, les visiteurs de l’exposition ont la chance de découvrir que cette plante vient en réalité de la Chine. L’ensemble de l’œuvre laisse penser obligatoirement au travail de documentation conséquent réalisé par l’artiste.

« Echafaudage d’histoires » ©Amalia Ramanankirahina, Crédit photo Fondation H

Troisième chapitre : Fabulations, Fictions et autres imaginaires

La visite des espaces d’exposition de la Fondation H offre alors un univers éclectique qui relie Madagascar au Continent à travers différentes approches artistiques, ainsi que des médiums et des sensibilités à des histoire intimes ou collectives. Memoria donne également la possibilité de percevoir ces récits comme une matière malléable qui contribue à l’évolution d’une création artistique. Tel est le cas avec l’œuvre de Barbara Portailler, originaire de Madagascar, clôture le parcours avec une œuvre collective et participative invitant chaque visiteur.euse à écrire, à partir de lanières textiles, un mémo contenant un message pour eux-mêmes ou pour la planète. Une entreprise commune qui prend sa source dans l’imaginaire du public et participe à en créer la mémoire. Un chapitre que se définit par l’idée d’un futur créatif à travers des installations qui poussent davantage les artistes à repenser de nouvelles démarches dans lesquels s’inscrivent des récits futuristes.

Une exposition qui se nourrit de ses voyages

Memoria comporte également des créations issues des éditions précédentes, avec des œuvres prêtées par des artistes ou des institutions. C’est une exposition qui se redéfinit et qui donne un élan différent et nouveau à l’art contemporain à chaque escale. Jusqu’en février 2025, la Fondation H se présente comme un espace d’expression dans lequel 22 artistes livrent chacune un récit qu’elles veulent inscrire dans le temps et dans la trajectoire géographique de Memoria, à travers la mémoire à court terme, l’oubli, la transmission, l’héritage, les conflits qui régissent ce monde, les histoires d’immigrations et d’exils, ainsi que de mémoires dépossédées, des assemblages fait avec de la littérature ou encore des pièces d’archives intégrées à l’art contemporain. Autant de déclinaisons et de prises de paroles légitimes par la dimension universelle octroyées aux œuvres et aux artistes.

journaliste culturelle et romancière malgache, Niry est contributrice chez Awalé Afriki.

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