
La deuxième édition de Biennale Ouidah qui se tient du 25 juillet au 25 août 2024 au Bénin éblouit par sa force de proposition. Un événement éclectique, intégrant la mode, le design, les arts visuels (photographie, art plastique, cinéma), la littérature ainsi que la musique et la danse. Une multitude de médiums qui deviennent des pistes de réflexion permettant des va-et-vient répétés entre le culturel et le cultuel, entre la rationalisation, l’esthétisation et les espaces de solennité. Ce sont autant de chemins de traverse pour nous mener lentement vers la compréhension de ce qu’on entend par Vaudou (ou Vodun).
En effet, il n’est pas forcément aisé de concevoir le Vaudou dans la globalité d’une spiritualité qui ne connaît aucune frontière, cela concerne aussi bien le Continent Africain, que les Antilles ou encore Madagascar et bien d’autres contrées. Toutefois, pour en comprendre les préceptes, il est nécessaire de se défaire de tous bagages encombrants associés à l’imaginaire et aux jugements hâtifs. Le Bénin est un pays de l’Afrique de l’Ouest, fortement appréciable pour son sens de l’accueil, et Ouidah est une terre que l’on ne peut fouler sans considérer son caractère sacré. La Biennale Ouidah est la promesse d’une expérience riche, car le Vaudou parvient à nous à travers des sons, des images et des ressentis.
Au-delà des sollicitations, les questionnements naissent également, lesquels appellent des réponses qui surviennent lentement, mais surement. Les journées scientifiques des 8 et 9 août 2024 sur le thème de « La cuisine des Dieux et des Hommes : Mythes, Valeurs et Interdits » ont apporté des éléments de réponses. Ainsi qu’une ouverture de plus sur l’univers du Vaudou, lequel occupe un espace inimaginable, dépassant les frontières de l’Afrique.

La Biennale Ouidah est une immersion dans différents univers esthétiques ainsi que dans différentes formes de compréhension et d’acceptation du Vaudou à travers une programmation multidisciplinaire exceptionnelle. Bien que les nombreux expositions et concerts aient été répartis entre Cotonou et Ouidah, des cérémonies ont eu lieu au Palais d’Agondji à Ouidah, il en a été de même pour les journées scientifiques.
Laboratorio Arts Contemporains, l’association à l’origine de cet événement international a voulu l’ouvrir à différents espaces. Dans cette même optique d’ouverture, en plus des expositions et des concerts des artistes béninois, la programmation comprend des artistes et intervenants étrangers, provenant de la Suisse, du Burkina Faso ou encore d’Haïti. Autant de nations en partage, tous mus par l’envie de trouver une résonnance entre le Bénin et le reste du monde. Le maître mot qui accompagne la Biennale Ouidah étant « Si loin… si proche ? », survient alors comme une question rhétorique visant à rappeler les liens existants qui se doivent d’être renforcés ou pour certains nécessitent d’être révélés.
Le Vaudou pourrait aussi bien se percevoir comme un terme générique servant à désigner tous les peuples qui n’ont pas oublié les pratiques visant à honorer leurs ancêtres, ainsi que la nature. A l’exemple de l’exposition intitulée « Les pas perdus » du photographe suisse Roger Chappellu, un véritable hymne à la nature. Il reconnaît en elle de formidables expressions qu’il reproduit par la suite avec des pierres ainsi que d’autres objets tels que des branchages. Mais surtout, il s’aide de la lumière naturelle pour réaliser ses œuvres photographiques.

Les journées scientifiques les 8 et 9 août 2024, sur le thème : « La cuisine des Dieux et des Hommes : Mythes, Valeurs et Interdits »
Au-delà des prestations artistiques (lesquelles découlent naturellement des formes cérémoniales brutes et diverses, mêlant danse, chant et costumes remarquables et singuliers), il y a également le recours à la photographie, au cinéma et aux arts plastiques pour restituer et sublimer ces formes et ces couleurs associées à des symboles du Vaudou. Tout ceci vise à exprimer la réalité selon laquelle le Vaudou se vit, se respecte et se transmet à travers le respect des ancêtres et de la nature.
Les journées scientifiques ont offert une vision panoramique. Loin de se limiter à l’évocation de la cuisine des Dieux, il était aussi question d’aborder le caractère universel des langages inhérents au Vaudou, à l’exemple du FA qui a été comparé au langage binaire, notamment avec la communication intitulée « Logique du FA et système informatique : les interconnexions » par Gratien Ahouanmenou et Gianfranco Moi de l’Université de Genève. Parmi les communications figurait un passage à propos des « Rituels à la divinité dan au Sud-Bénin dans le département de l’Atlantique » une communication du Dr. Abdoulaye Benon Monra et du Dr. Ambroise Laly de l’Université d’Abomey-Calavi.
Certaines communications avaient fait l’objet d’un intérêt particulier de la part du public qui reconnaissait certains « Dieux », ainsi que certaines pratiques. Mais surtout, il a fallu évoquer l’intérêt d’employer les mots adéquats, à l’exemple de la distinction entre « Dieux » et « divinités », tout comme il était crucial de reconnaître le caractère réducteur du mot « fétiche ». Les intervenants ainsi que les publics se sont accordés sur l’importance de la reformulation et de la recherche des termes appropriés, manifestant ainsi l’envie de se réapproprier une culture parfois décrite par des voyageurs trop pressés de pénétrer l’essence du Vaudou.

Le vertige d’une immersion cultuelle et culturelle
Les cérémonies se déroulant au Palais Agondji Ouidah à partir du 6 août 2024 constituent une entrée en matière significative. Des groupes issus de différentes communautés, musiciens, danseurs et chanteuses jouaient de manière simultanée dans une scénographie particulière. Tel un orchestre dans lequel les instruments sont essentiellement des tambours sacrés, dont les formes diffèrent. Les processions sont des élans énergiques dans lesquels musique, danse, chant et performances s’articulent. Ce sont des représentations dont les sonorités et l’agencement artistique font partie des aspects caractéristiques de la Biennale Ouidah.
Le Chef spirituel suprême du vodun hwendo, nul autre que Majesté Dada Daagbo Hounon Houna II souligne la place centrale qu’occupe le Bénin dans un mouvement perceptible de retour aux sources : « A la faveur de la Biennale Ouidah Arts et Cultures Vodun dont la première édition de 2022 a été un vrai succès, nous avons compris la demande forte et pressante de la diaspora, des Amériques, de l’Europe et du monde entier de se ressourcer aux traditions séculaires. ». Il s’est également exprimé sur l’importance et la nécessité d’insister sur le caractère indissociable du Vodun avec la vie des béninois et des africains, tout en revenant sur les menaces qui ont marqué son histoire : « Le Vodun a nourri depuis des siècles la réalité quotidienne des béninois et des africains. Il a essaimé en Haïti, Brésil, dans les Amériques et dans le monde entier à travers la triste traite transatlantique dont les séquelles sont encore vivaces actuellement. Combattu et dénigré par diverses campagnes, il a tenu ferme dénotant une résilience à nul autre pareil. ».

Une série successive de vernissages d’expositions succède à la Cérémonie officielle d’ouverture de la Biennale Ouidah du 6 août. Un ensemble d’images ainsi que des sculptures empreintes de subjectivités, pour étoffer toutes curiosités suscitées par le Vaudou, ou encore de multiples réinterprétations de la nature, pour ce qu’elle représente de façon abstraite. Pour ne citer que la série photographique « Kosukosu » de Tognissè Aziakou, exposé au Home Indigo à Ouidah s’articule particulièrement autour d’un « hommage aux disparus, devenant des points de convergence entre les vivants et les ancêtres, établissant un lien symbolique entre la terre et la spiritualité ».
Tandis que le Mur d’expressions libres en « Hommage à Tatiana Carmine », réalisé par des artistes béninois : Simplice Ahouansou, Midy, Kola, Togbe, Zansou et José à l’Auberge fleurie à Ouidah, célèbre la créativité de cette artiste d’origine russe et de nationalité suisse. Un mur faisant se succéder des vagues sous différentes formes esthétiques, un formidable hommage.
Une énième exposition photo vient s’ajouter aux autres formes d’expressions visant à rappeler la complexité de la nature et encore une fois la force de l’abstraction, la série intitulée « Pure » (exposée à Cotonou, aux Ateliers Coffi) de Vanna Karamaounas, artiste d’origine gréco-suisse, dont l’œuvre se caractérise par le fait que « chaque repérage, cadrage, prise de vue, développement, concourt à fonder un nouvel ordre perceptuel qui n’a plus rien à voir avec une reproduction analogique du réel ». En somme, chaque exposition pousse les frontières de l’abstraction mais chacune d’elles ramène à une plus grande proximité avec le Vaudou.
S’immerger dans ces différents univers artistiques et se laisser entraîner par les rythmes des musiciens en représentation au Palais Agondji à Ouidah sont une nécessité pour une réelle immersion dans la Biennale Ouidah. Cette seconde édition interroge autant qu’elle fascine.
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